L’exploitation minière permet- elle le développement d’un pays ? Ou encore l’exploitation du mont Simandou pourra-t-elle permettre le développement de notre pays la Guinée ? Voilà le débat qui affole la toile, suscite des controverses actuellement en Guinée. C’est dans ce contexte que nous avons décider de rédiger le présent article :
l’objectif n’est pas de répondre par OUI ou par NON mais plutôt d’apporter des éléments de réflexion afin de permettre à chacun de mieux comprendre les enjeux soulevés par une telle problématique.
Pour y parvenir nous allons tour à tour analyser les aspects positifs et négatifs de l’exploitation minière pour un pays, citer des exemples concrets dans différents pays et analyser des préalables à toute activité minière capable de constituer un levier de développement.
Tout d’abord, il faut préciser qu’il s’agit de l’exploitation de minéraux comme le fer, la bauxite, l’or, le pétrole, le cobalt ou encore le coltan, donc des ressources non renouvelables. Ce sont des ressources qui existent en stock limité et qui ne se renouvellent pas.
Donc leur exploitation entraine inévitablement leur épuisement. Alors cette exploitation minière peut- elle permettre le développement d’un pays ?
Sur la question, il existe un débat réel à l’échelle internationale. Pour certains, l’exploitation minière peut permettre à un pays de se développer. Pour cela ils évoquent que :
cette activité peut être un facteur de déclenchement de la croissance générale de l’économie, de création d’emplois, d’infrastructures, de contenu local et constituée une richesse qui peut être consommée ou réinvestie dans la production d’autres types de capital.
Bref, une opportunité pour les pays qui en disposent. Analysons respectivement ces différents aspects.
L’exploitation minière peut générer des devises pour un pays : certes l’activité minière génère des devises.
Mais pour que ces devises servent réellement au développement d’un pays, il faut tout d’abord qu’il ait un système de gouvernance performant capable de mieux négocier les conventions minières avec les multinationales (dont l’expertise en matière de négociation est souvent plus élevée que celle des États miniers).
Aussi, il faudrait que les retombées de l’activité minière ne soient pas captées par l’élite dirigeante au détriment des populations comme c’est le cas dans de nombreux pays miniers. Une gouvernance dépourvue de toutes formes de corruption et d’autres formes de pot-de-vin.
Alors avons-nous un système de gouvernance capable de négocier des conventions minières à la hauteur des multinationales ou encore de gérer les retombées minières exclusivement au profit du développement du pays ? Avons-nous des fiscalistes miniers capables de comprendre les montages financiers de ces multinationales afin de veiller à la préservation des intérêts du pays tout au long du cycle de projet Simandou ?
Aussi, toute entreprise vise à produire des bénéfices à repartir entre les actionnaires. Notre pays peut -il s’assurer d’avoir en plus des 15% de la convention de base, acquérir autres 15% afin d’avoir les 30% nécessaires au minimum de blocage ? Après tout ne sont -elles pas nos ressources ?
L’exploitation minière permet de créer des emplois : l’un des arguments souvent brandit par les promoteurs miniers c’est la création d’emplois. Mais en réalité c’est beaucoup plus complexe qu’il n’apparait.
Le modèle d’exploitation utilisé dans nos pays est un modèle de mines à ciel ouvert. Ces types de mines sont beaucoup plus intensives en capital qu’en main-d’œuvre, c’est-à-dire elles utilisent plus de machines sophistiques et coûteuses que de main d’œuvre et du coup limite l’effet attendu sur le marché du travail.
C’est pourquoi, un site d’orpaillage artisanal emploi plus de main d’œuvre locale qu’une société d’exploitation de bauxite ou du fer. A cela s’ajoute le fait que, le travail dans de telles entreprises exige une certaine expertise difficilement disponible dans les pays miniers.
Par conséquent, ce sont les travailleurs expatriés qui occupent les postes techniques et mieux réénumérés. Pour que de telles entreprises puissent employer réellement la main d’œuvre locale, il faudrait qu’en amont il ait une politique solide de formation de main d’œuvre minière :
machinistes, mécaniciens, conducteurs de poids lourds, de grues, des électromécaniciens, etc. Avons-nous des centres opérationnels de formation d’ouvriers miniers en prélude à Simandou 2040 ? A défaut, ce sont les mains d’œuvres qualifiées des autres pays qui occuperont les postes essentiels et la main d’œuvre guinéenne se contentera du gardiennage.
Avons-nous des ressources humaines pour un transfert de technologie à court, moyen termes ?
L’exploitation minière crée des infrastructures : l’un des acquis souvent mis en avant dans l’activité minière c’est la réalisation d’infrastructures (routes, chemins de fer, écoles ; hôpitaux).
Certes cet aspect est essentiel pour l’activité minière elle-même et peut être utile pour le pays. Mais à ce niveau aussi les choses ne sont aussi simples. Prenons le chemin de fer transguinéen qui servira à drainer le minerai de fer vers les côtes guinéennes.
Pour que ce chemin de fer puisse être utile pour le reste du développement de la Guinée, il faudrait qu’il ait des dérivations vers la Haute Guinée et la Moyenne Guinée. Ainsi, le pays devrait aussi se doter de locomotives de transport de personnes et de marchandises afin de relier les différentes régions du pays par la voie ferrée simultanément avec le transport de minerai vers le port.
Cela pourrait désengorger les routes et faciliter l’écoulement de la production locale de l’intérieur vers la capitale et vers l’exportation. Alors avons-nous pensé à cette intégration et mutualisation du transguinéen ?
L’exploitation minière favorise le développement des PME à travers le contenu local : certes cela est possible mais suppose deux conditions essentielles à savoir l’existence de PME solides et crédibles capables de répondre aux cahiers de charges des multinationales souvent exigeantes et une politique de promotion des produits locaux dans un pays où nous-mêmes préférons des poulets importés à la promotion de nos fermes locales ?
Il existe des pays qui ont su malgré tout se tirer d’affaires à travers l’exploitation minière c’est le cas de l’Australie, de la Norvège ou dans une moindre mesure le Botswana. On se souvient encore des mesures prises par le Qatar après la fermeture des frontières avec l’Arabie Saoudite, à qui il dépendait sur tous les plans.
Grâce à une vision anticipative, le pays a réorienté la manne gazière vers d’autres secteurs notamment les services pour devenir aujourd’hui un véritable Hub diplomatique et plaque centrale des affaires. Mais cela demande de la vision, du courage et surtout une détermination sans faille.
Intéressons-nous maintenant aux critiques faites à l’exploitation minière pour le développement d’un pays. Nombreux sont ceux qui soutiennent que l’exploitation minière n’induit pas forcément au développement d’un pays et déconseillent de croire que « les richesses du sous-sol se transforment infailliblement en argent dans les banques ».
Pour eux l’exploitation minière fait courir d’énormes risques aux pays riches en ressources minières comme la déstabilisation politique, la corruption, les conflits, la perturbation des valeurs sociales des populations locales, la dégradation de l’environnement, le renforcement de la dépendance du pays à l’exportation de minerais, etc.
L’exploitation minière peut être un facteur de déstabilisation des pays riches en ressources minières. De nombreux conflits apparaissent autour des mines et se nourrissent de ces mêmes mines. Ces guerres juteuses pour les groupes armés et sanglantes pour les populations locales (RDC, Soudan, Bokoharam au Nigéria, les diamants du sang de la Sierra Léone, etc.).
Heureusement que notre pays a été à l’abris de telles tentations. Ici, les mines constituent plutôt une source de malheur pour les populations.
L’exploitation minière renforce la corruption dans les pays miniers, de nombreux cas confirment des taux anormalement élevés de corruption dans les pays riches en ressources minières. La rente minière est captée par l’élite dirigeante dans un contexte où toutes formes de contestations sont réprimées dans le sang.
L’argent des mines permet de se doter de moyens de repressions et d’entretien des intérêts de l’élite au détriment du développement du pays.
L’exploitation minière renforce la dépendance du pays à l’exportation de matières premières souvent brutes sans aucune valeur ajoutée (plus de 80% des exportations de certains pays).
Ainsi, le pays devient vulnérable aux fluctuations des cours des matières premières et entraine une baisse des performances économiques. Sachant que le cours des matières premières est cyclique.
Alors avons-nous une politique de diversification de notre économie ? Sachant que depuis 1952 on exploite la bauxite en Guinée pour quel résultat ? Aussi, le Libérai a déjà exploité son côté du jugement de fer pour quel résultat ? Simandou sera-t-il différent des autres projets ?
Quels sont les mécanismes concrets envisagés pour y faire face au-delà du branding Simandou 2040 ?
L’exploitation minière perturbe les valeurs sociales des populations locales :
la mise en service de projets miniers dans certaines localités entraine des flux énormes de personnes vers ces localités, ce qui se traduit par l’apparition de phénomènes nouveaux (prostitution, banditisme, consommation de drogue, insécurité, etc.).
Avons-nous pensé à ces aspects notamment en Guinée forestière, zone entourée de pays ayant connus des conflits armés ?
Aussi, les projets miniers influent directement sur la communauté locale à proximité du site à travers l’expropriation des terres fertiles pour les besoins de la mine, les déplacements de population, la migration accrue de travailleurs vers la zone du projet, l’inflation causée par cette migration, l’accroissement des inégalités de revenus, l’abandon de l’activité agricole et les problèmes de santé publique.
L’exploitation minière compromet le développement des populations dans leurs zones d’implantation, dégrade les écosystèmes, exacerbe les conflits sociaux avec les communautés locales et fragilise les États.
La zone de la Guinée forestière étant le grenier de la Guinée, avons-nous envisagé la cohabitation avec la mine afin de ne pas entraver ces activités hautement importantes pour le pays ?
Le projet comporte-t-il un volet appui à l’économie locale à travers le financement des activités génératrices de revenus pour la communauté de la zone d’implantation et du corridor du projet ?
L’exploitation minière détruit l’environnement : en dépit des mesures d’étude d’impact environnemental et social imposées aux entreprises minières, l’activité reste un facteur de destruction de l’environnement.
Il s’agit de la destruction de la végétation, des habitats naturels due aux rejets toxiques, des déversements de produits chimiques, de la dégradation des terres, du drainage minier acide, de la pollution des lits de rivières, de la contamination chimique des sols, des émissions dans l’air, de l’usage des ressources en eau et en énergie et des différents risques liés à l’exposition à des produits dangereux pour les travailleurs. Il existe de nombreux cas de par le monde :
Guyane1996, Roumanie 2000, Nouvelle Guinée Papouasie1994, Kignéran (Guinée) 2007, Kilwa RDC 2001, etc.
Le projet Simandou étant dans une zone de réserve de faune et de flore (forêt classée, crapauds et chimpanzés), avons-nous de l’expertise nationale capable de s’assurer du respect des normes par ces multinationales tout au long du cycle du projet ?
Face à toutes ces incertitudes, nombreux sont ceux qui émettent des réserves sur la capacité pour un pays de se développer à travers l’exploitation minière et associent l’abondance en ressources naturelles en « une malédiction ».
Car, les pays miniers sont souvent caractérisés par des taux exceptionnellement élevés de corruption, d’autoritarisme et d’inefficacité gouvernementale, de dépenses militaires, d’instabilité politique ou encore de guerres civiles.
Promouvoir son développement à travers l’exploitation minière, souvent exportée à l’état brute sans aucune forme de valeur ajoutée, suppose que le pays se dote d’un système de gouvernance assez transparent dans lequel tous les acteurs (entreprises minières et responsables administratifs) rendent compte de façon systématique aux populations.
Un tel système repose sur des institutions fortes, une justice indépendante, des cadres courageux et patriotes. Aussi, la conduite d’un tel giga projet devrait avoir dans son comité de pilotage un groupe d’experts multidisciplinaires de hauts niveaux (fiscalistes miniers, juristes, environnementalistes, managers de projets, etc.), afin de réfléchir de façon anticipée à toutes les options nécessaires pour faire de ce projet un levier de développement socio-économique du pays.
Car, en face, les entreprises multinationales disposent de toute une armée de cadres hautement qualifiés capables de négocier les meilleures options souvent au détriment des pays miniers. Alors, il est important de savoir se préparer à y faire face. Ici, ce sont les intérêts qui comptent et non d’autres considérations.
C’est en intégrant toutes ces considérations que Simandou pourrait être différent des autres projets déjà connus en Guinée et ailleurs.
SORY SOW (Ph.D)
Spécialiste des questions de développement dans les industries extractives
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